Stocker de l'énergie dans de la glace : une solution inattendue et efficace
Le CNES et l’ESA ont adopté une trajectoire ambitieuse vers la neutralité carbone, visant à couvrir 90 % des besoins énergétiques du Centre Spatial Guyanais (CSG) avec des énergies renouvelables d’ici 2030. Cette volonté conquérante se traduit maintenant en faits : le stockage de glace déployé par GTD, Entropie et Equans sur le site d’Europropulsion en est un exemple concret et innovant.
Le site d’Europropulsion, au cœur de la zone propulseur du CSG, est le centre névralgique de l’intégration des moteurs à propulsion solide des familles Ariane et Vega. Pour ce faire, il utilise un bâtiment de grands volumes (le Bâtiment d’Intégration Propulseur, ou BIP) où les conditions d’ambiance sont strictement contrôlées, avec une température de 25°C et un taux d’humidité de 60 %, pour répondre aux exigences d’intégration des produits de vol.
La climatisation, essentielle au bon fonctionnement des installations industrielles de la base, représente à elle seule 60 % de la consommation énergétique du CSG. Chez Europropulsion, elle représentait même 85 % de la facture d’électricité (620 000€/an) et des émissions de CO₂ (6 000 t CO₂eq/an) en 2020.
Suites aux actions de sobriété énergétique, d’optimisation des installations, de pilotage horaire et de production d’électricité verte, seule la brique technologique du stockage d’énergie était absente du site pour le management total de l’énergie.
Dans ce contexte, l’ESA, le CNES, Europropulsion, GTD, Entropie et Equans ont uni leurs efforts pour déployer une solution de production de froid autour de trois objectifs :
- réduire les coûts de la climatisation,
- diminuer les émissions de CO₂,
- et auto-consommer l’énergie photovoltaïque (PV) produite en surplus au CSG.
Le stockage dans la glace permet tout ça à la fois !
Comment fonctionne le stockage de glace ?
Actuellement, la climatisation des bâtiments du CSG fonctionne en insufflant de l’air refroidi par un circuit secondaire d’eau froide. Cette eau est produite par un échangeur relié à un circuit « primaire », où des groupes froids génèrent le froid nécessaire. Notre objectif est d’optimiser la consommation électrique de ces groupes froids.
Le stockage de glace permet de remplacer partiellement ce processus. L’idée est de produire des gros glaçons pendant les périodes où l’électricité est moins coûteuse et moins carbonée, soit la nuit, soit lorsque les installations solaires du CSG génèrent un surplus d’électricité. Ces glaçons servent ensuite de source de froid pendant les périodes de forte demande électrique, réduisant ainsi l’utilisation des groupes froids classiques.
Et comment passer de l’eau froide aux glaçons géants ?
Huit grandes cuves d’eau, d’un volume total de 48 m³, sont équipées de serpentins contenant un liquide caloporteur, qui est également respectueux de l'environnement. Ce liquide, refroidi à -4°C par deux groupes froids, circule dans les serpentins et refroidit l’eau, qui se solidifie en glaçons géants, stockant ainsi l’équivalent de 4.500 kWh de froid.
Optimisation de la production de froid en fonction des besoins énergétiques
Ce système de production et d’optimisation du froid réduit la consommation d’énergie et l’impact environnemental en utilisant la stratégie suivante :
- Production de glace : Les glaçons sont fabriqués quand l’électricité est la moins chère et la plus verte, comme la nuit ou lors de surplus solaire.
- Substitution des groupes froids : Aux heures de forte demande, lorsque l’électricité est coûteuse et polluante, le froid nécessaire est fourni par la fonte des glaçons, permettant ainsi l’arrêt de groupes froid. Cette phase de fonctionnement permet également d’alléger la demande en électricité sur un réseau fortement sollicité.
- Optimisation des groupes froids : En équilibrant les puissances demandées, le système assure que les groupes froids fonctionnent à leur meilleur rendement. Un approche comparable à une voiture qui roule à vitesse constante, évitant ainsi la surconsommation et l’usure.
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La fonte des glaçons se déclenche : soit pour alléger la charge des groupes froids, en arrêtant l’un d’eux et en le remplaçant par les glaçons pour que les autres fonctionnent à plein rendement, soit pour remplacer complètement les groupes froids aux heures de pointe.
Résultat : 30% de la consommation électrique sera « décalée » aux heures creuses pour des économies maximales et une réduction de l’empreinte carbone.
Bénéfices attendus et perspectives de la technologie de stockage de glace
Les études réalisées par GTD montrent que le déploiement d’une telle solution va permettre de réduire de 22% la facture d’énergie d’Europropulsion pour la climatisation et de l’émission indirecte carbone. Au-delà des aspects économiques et de verdissement, l’ambition est de démontrer la reproductibilité du pilote industriel. Sa massification ouvrira en effet une alternative durable et judicieuse dans le cadre des enjeux de pérennité des centrales d’eau glacée du CSG.
À terme, le stockage de glace contribuera à l’équilibre du réseau électrique intelligent (smart grid) du CSG en stabilisant la boucle 20 kV. Des études sont en cours pour démontrer leur pertinence en substitution ou complément de batteries électriques biens plus polluantes, alors vive les glaçons !
Credits photo : CNES/ESA/Arianespace